mardi 8 mai 2012

Bernard Roger, « L'Étoile scellée » (extrait)


« (...)
Pour les surréalistes, le surréel est dans le réel, comme pour le mage l'invisible est dans le visible, comme l'alchimiste sait que l'infini se trouve dans le fini dont le grand oeuvre consiste à l'extraire.

On ne saurait donner trop de sens au fait que René Alleau, qui avait connut Antonin Artaud et assisté à ses derniers instants, ait put confier à Breton, en 1953, que c'était sa rencontre passée avec le surréalisme qui l'avait amené à prendre la route aventureuse vers « l'entrée ouverte au palais fermé du roi ».

Comme en reflet dans le miroir de cette conjonction magique, les conférences d'Alleau à la salle de Géographie à Paris provoquèrent parmi les membres du groupe, dès la fin de l'année 1952, un ouragan d'intérêt pour l'alchimie, d'inter­rogations sur sa nature et son objectif, mais tout d'abord sur la nature de sa mystérieuse « matière première ».

Cette période du mouvement, qui connut l'ouverture de la galerie dont le titre, l'Étoile scellée, fut choisi par Breton parmi quelques noms de cette « matière » dans une liste proposée par Alleau, restera marquée de l'un des points lumineux où le surréalisme et l'alchimie, ces deux voies de haute poésie qui, selon les termes de Jean-Louis Bédouin, « ne se confondent jamais, bien qu'elles s'entrecroisent », sont venues au grand jour se superposer l'une à l'autre. Il arriva même alors que certains, parmi les compagnons de l'aventure, furent animés par l'impétueux désir d'apprendre comment on partait à la quête de la « Toison d'or », et attirés par les souterrains obscurs vers lesquels entraîne l'étude des ouvrages qui traitent de cet art.

Il s'agissait pour eux de tenter l'accès aux profondeurs d'un domaine où toute orientation et tout repère disparaissent, « un labyrinthe au centre duquel, écrit René Alleau, les secrets de la haute science sont cachés dans une colonne comme les livres du Temple ». Un tel trajet pouvait-il manquer de leur rappeler la direction, verticalement parallèle quoique sensiblement distante, qu'André Bre­ton désigna comme celle qu'il convenait de prendre en vue de la « récupération totale de notre force psychique », une « descente vertigineuse en nous, l'illumi­nation systématique des lieux cachés et l'obscurcissement progressif des autres lieux » ?

À ce stade, le chemin proposé par le projet surréaliste est semblable à celui de l'alchimie, comme à celui de la franc-maçonnerie, dont l'épreuve initiale fut discrètement évoquée par deux membres de l'actuel groupe de Paris que cite Patrick Lepetit, sous l'image d'une « descente au fond du volcan ou seulement à la cave, vitriol ».

Là se trouve le secret commun au surréalisme et à ces deux disciplines tra­ditionnelles, et sa couleur est le noir. C'est le fondement du merveilleux, le sous-sol de la tour sans porte où l'on entend chanter la prisonnière de la chambre haute, la belle Raiponce à la longue chevelure.

Où pourrait se lover un tel labyrinthe, si ce n'est au coeur du « vieil océan » salué par Lautréamont ? À la surface ont émergé au commencement des temps, avec la naissance des hommes, la magie, l’astrologie, l’alchimie, les rituels sacrés, puis, comme sortis des mains d'un prestidigitateur, les tarots et les boules de cristal.

Diffus dans ces eaux mères, un « mythe nouveau » semble depuis les débuts du surréalisme rêver sa naissance incertaine. Ce sont précisément les témoins de rêve qu'a convoqués Patrick Lepetit pour réaliser son minutieux travail, remarquable et sans précédent, notamment en ce qui concerne la méthode suivie pour rendre visibles certains chemins sur lesquels « il est possible, écrivait Pierre Mabille, de pressentir un nouveau système de liaison de l'homme et de l'univers ».

On ne peut que s'émerveiller du hasard grâce auquel les deux ouvrages de l'introuvable Fulcanelli sont venus, durant la décade même où paraissent les Manifestes du surréalisme, rappeler la pérennité du très antique « art d'Hermès ». Dans cette rencontre temporelle entre l'alchimie, qui dans ses traités comme dans sa pratique enjoint « l'étudiant de science » de « suivre la nature », et la naissance du projet surréaliste qui, pour refaire l'entendement de l'homme, prescrit de donner accès à sa nature profonde, dans ces deux manifestations fortuitement contemporaines donc, force est de reconnaître les tracés de chemins parallèles vers l'accomplissement du désir primordial et constitutif de l'Homme : libérer et sans cesse accroître sa conscience.

Cet Homme est précisément ce qui, de tout l'homme, « demeure à jamais immobile au centre » du tourbillon dont a parlé André Breton. Mais c'est aussi le « Fils de science », frère jumeau du « Mercure philosophique ». Les francs-maçons l'ont nommé Hiram. À lui revient, sous l'un ou l'autre de ces noms, la tâche d'accomplir la révolution invoquée par Patrick Lepetit dans sa belle conclusion.

Tout au long de sa pénétrante étude, qui s'étend en vérité sur les rapports du surréalisme avec tout ce qui se trouve de « l'autre côté du pont », Patrick Lepetit, sans jamais distribuer « le pain maudit aux oiseaux », désigne d'un geste discret le rideau de brume où transparaît la silhouette de l'inquiétant et mer­veilleux château fermé. »


(Préface au livre de Patrick Lepetit, Le Surréalisme, parcours souterrain. Paris, Dervy, collection
« Pierres vivantes », 2012.)

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